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Chapitre 6

SAKÉ

Un nouvel art : la dégustation du saké.

Auteurs du chapitre

JEFFREY S. KINGSTON

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JEFFREY S. KINGSTON
SAKÉ
SAKÉ
Numéro 17 Chapitre 6
SAKÉ

Tout commence par LE RIZ.

Qu’est-ce que le saké est censé être exactement ? Sans aucun doute les plaisantins feraient un bond et s’exclameraient « vin de riz », une pointe de dérision dans la voix. C’est vrai pour certains esprits, mais le saké est-il la boisson alcoolique, parfois trouble, parfois écœurante servie en guise d’apéritif ? Ou plutôt cette autre variété pétillante offerte en entrée ? Ou, peut-être, la boisson forte et dynamisante présentée chaude dans des verres de la taille d’un dé à coudre ? En tous les cas, le saké peut très bien prendre l’aspect d’une boisson claire, sobre, aromatique, à basse teneur en alcool, ressemblant au vin, déversée froide dans des verres à vin appropriés et destinée à se marier avec des aliments. Nous optons pour cette nouvelle manière, qui non seulement est une tendance moderne dans le monde du saké, mais a fait tourner les têtes de chefs français célèbres, y compris Joël Robuchon qui a ajouté ce nouveau genre à la carte des vins dans ses célèbres restaurants étoilés par le Michelin.

Même dans cette classe moderne du saké, il existe une grande distinction réprésentée par Dassai, avec ses cristallins, moelleux, très raffinés Dassai 23 et Dassai « Beyond » — à consommer peu de temps après leur sortie — et le saké Tsukino Katsura de Kyoto vieilli, à la couleur ambre. Nonobstant la diversité de leur style, leurs méthodes de production et leur âge, tous deux s’expriment mieux dans un verre à vin à côté de mets savoureux. 

Les différents types de saké ont en commun dans leur élaboration certains procédés de base. Tout commence par le riz. La variété préférée est le Yamada Nishiki. Cela dit, 110 différentes sortes destinées au saké étaient cultivées en 2010. Le riz à saké se distingue de celui de table en ce sens qu’il est beaucoup plus ferme avec son amidon concentré au cœur du grain. Celui que l’on qualifie d’alimentaire est moins ferme avec son amidon plus largement dispersé dans tout le grain.

La première étape majeure consiste à polir le grain pour enlever sa cosse extérieure. Ici, il y a des choix à faire sur le pourcentage retiré, qui est généralement exprimé par un nombre représentant le montant restant. Une règle générale : les sakés de la meilleure qualité sont faits avec du riz qui a été poli à moins de 50%. Le saké poli à ce degré est appelé Dai-ginjo. Audessous de 60%, il s’agit du Ginjo. Bien sûr, il existe encore des sakés de qualité inférieure fabriqués avec des degrés de polissage moindres. Un grand soin doit être pris dans le processus de polissage pour éviter de craquer ou de briser le centre amidonné du riz.

L’ajout de moisissure à une partie du riz, pour produire le KOJI, est un processus contrôlé avec attention.

Après le polissage, le riz est lavé, puis cuit à la vapeur. C’est à l’étape suivante que la grande différence entre le vin de raisin et le vin de riz apparaît. Les raisins renferment des sucres et des levures, de sorte que la fermentation pour transformer les sucres en alcool se produit naturellement et spontanément. En effet, de nombreux vignerons prennent des mesures pour retarder l’apparition de la fermentation qui autrement commencerait « automatiquement » pour les raisins placés dans la cuve. Le riz, pour sa part, a besoin d’aide. Une partie du riz cuit à la vapeur est mise de côté pour l’ajout de ce qui est appelé koji-kin, une moisissure. Vue au microscope, elle rappelle le brocoli ; son nom officiel est Aspergillus oryzae. En fait, il en existe trois sortes : noire, blanche et jaune. La jaune est utilisée pour le saké. D’autres variétés trouvent leur voie dans la production de soja et de miso, qui sont tous deux des aliments fermentés.

L’adjonction de moisissure à une partie du riz est un processus soigneusement contrôlé qui, en général, prend deux jours. La température et l’humidité sont rigoureusement surveillées. De même, les ouvriers du saké, les kurabito, sont appelés pendant toute la période à mélanger la combinaison riz-moisissure, nommée koji, pour assurer une répartition uniforme de la moisissure sur le riz. L’objectif est de libérer du glucose de l’amidon de riz, car ce sucre est essentiel pour la fermentation qui doit suivre.

Une fois la fabrication du koji terminée, elle est ajoutée au reste du riz cuit à la vapeur avec de l’eau, de la levure de saké, dont il existe plusieurs types tels que le sokujo moto (utilisé par Dassai), et une forme d’acide lactique (des levures de saké donnent de meilleurs résultats dans un environnement légèrement acide). Des températures plus basses et des fermentations plus longues favorisent la fabrication des meilleurs sakés. Généralement, la fermentation dure de 25 à environ 35 jours.

Ensuite, le saké est séparé de la lie, soit par pressage au travers d’un tamis, soit par un procédé centrifuge tel que celui utilisé par Dassai pour ses sakés raffinés. Le filtrage peut être fait plus d’une fois. Les étapes finales sont la pasteurisation et l’embouteillage.

SAKÉ
Mélange de la combinaison riz-moisissure pour assurer une répartition régulière de la moisissure.

Mélange de la combinaison riz-moisissure pour assurer une répartition régulière de la moisissure.

Dassai fut le premier producteur qui sortit du lot quand il développa son PRESTIGIEUX SAKÉ DASSAI.

Dassai, situé dans les montagnes de Yamaguchi, à une heure de route d’Iwakuni dans le sud du Japon, est dans le commerce du saké depuis 1770, mais pas sous ce nom jusqu’à récemment. Le président actuel de Dassai, Hiroshi Sakurai, a repris la direction de l’entreprise familiale en 1984. À cette époque, l’exploitation était au bord de la faillite. Ses sakés, au rapport qualité-prix très bas, se débattaient dans un marché local en déclin. Sakurai a compris qu’il devait réussir en dehors de sa région, en particulier à Tokyo. Pour y parvenir, il fallait un départ radical, une réorientation complète de l’entreprise en produisant le meilleur, le Dai-ginjo. Pour ce faire, il fallait tout changer sauf l’eau : recruter un nouveau maître distillateur (toji), utiliser une qualité de riz supérieure et passer à un polissage de 75% à un jamais vu à l’époque de 23%.

En faisant ces changements, Sakurai a dû supporter les critiques et les récriminations prétendant qu’il avait perdu la raison. Gardez à l’esprit que, dans les années 1980, il n’y avait pas un intérêt particulier pour le saké haut de gamme. Comme Sakurai le décrit, le dicton était : « Le saké est du saké. » Il a été le premier au Japon à sortir du lot. De tous les endroits, l’inspiration pour prendre ce risque, il la trouva, à Bordeaux. Il apprit le dur labeur du Château Mouton Rothschild dans ses luttes pour atteindre la qualification de Premier Cru, obtenue finalement en 1973. Il était prêt à affronter les difficultés pour enseigner et pour expliquer les qualités spéciales qu’il souhaitait apporter à son saké.

Des défis l’attendaient pour améliorer la fabrication du saké. Beaucoup se référaient à l’eau locale, inhabituellement douce dans cette région. Les minéraux adéquats, notamment le potassium, le magnésium et le phosphore, aident à la fermentation. Une mise en garde cependant, certains autres tels que le fer et le manganèse ruinent la couleur et la saveur. Même si l’eau douce locale manque d’éléments alcalins spécifiques de ce genre pour accélérer la fermentation, la lenteur résultante était un avantage, apportant un raffinement supplémentaire et une élégance pour le produit final. Cela dit, Sakurai raconta que de nombreuses erreurs avaient été commises et de fausses pistes suivies avant que son toji et son équipe aient perfectionné le processus et transformé l’eau douce en atout.

Il y eut d’autres changements dans le processus d’amélioration de la qualité. Dassai utilisait seulement environ 10% de la quantité standard de moisissure koji-kin. Bien sûr, cela ralentissait le processus, mais le temps supplémentaire favorisa la propagation des bactéries dans le riz au lieu de rester juste à l’extérieur.

Quant au riz, Hiroshi Sakurai a séléctionné un Yamada Nishiki à 300 km dans la préfecture de Hyōgo dans l’ouest du Japon. Il est très strict dans sa sélection des agriculteurs et achète seulement à ceux produisant la meilleure qualité. Au Japon, bien que le riz ne soit pas classifié en fonction de l’endroit où il est cultivé, il est distingué en cinq catégories de qualité. Dassai est attentif au triage du riz qu’il reçoit.

Hiroshi Sakurai.

Hiroshi Sakurai.

Le Dassai 23 fut RÉVOLUTIONNAIRE quand il arriva sur le marché.

Le Dassai 23 fut révolutionnaire quand il arriva sur le marché et engendra une foule d’imitateurs dans une nouvelle catégorie de saké de prestige : le marier aux aliments comme une alternative au bon vin. Alors que le succès du Dassai 23 se développait, Hiroshi Sakurai imagina une nouvelle étape : le super saké.

À bien des égards, son super saké ressemble à une Cuvée Prestige issue du monde du champagne. Un effort pour créer le meilleur des meilleurs. Dassai appelle son super saké le Dassai « Beyond ». Tout est dans le nom. Le polissage va plus loin que les 23% du 23. Bien que le nombre ne soit promu de la même manière, il se situe entre 13% et 19%. Mais le « Beyond » n’est pas purement une question de chiffres. Les facteurs sont autres que le pourcentage du polissage. Le koji est différent. Le temps d’élaborer le koji est plus long, apportant une plus grande profondeur. On pourrait dire qu’il y a comme un terrain d’entente avec le 23. Les deux, le « Beyond » et le 23, ont eu la primeur. Comme pour le 23, d’autres aussi suivent maintenant avec leurs propres versions de super sakés. Le «  Beyond  » est extrêmement limité  : seulement 15 000 bouteilles sont produites par an.

La renommée du Dassai s’est répandue et, parallèlement, sa distribution a progressé dans les restaurants aux États-Unis et en Europe. En effet, lorsque le premier ministre Shinzō Abe a rendu visite à la Maison Blanche, du Dassai a été servi, le 23 à toutes les tables, à l’exception du président Obama qui a reçu du « Beyond ».

Comme la majeure partie des sakés, le « Beyond » et le 23 doivent être bus de préférence très jeunes. Le vieillissement en bouteille ne leur est pas bénéfique.

SAKÉ
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LE SAKÉ VIEILLI de Tsukino Katsura EST UNE VRAIE RARETÉ.

Tsukino Katsura est le plus ancien producteur de saké de Kyoto, soit l’un des plus anciens au Japon. Cette brasserie artisanale a été fondée en 1675 et a appartenu à la même famille pendant quatorze générations. Un large éventail de sakés est proposé, allant du tourbé, c’est-à-dire non filtré, appelé Nigori, au saké vieilli. Son Nigori se distingue comme étant le premier fabriqué aux normes Dai-ginjo.

Mais c’est leur unique saké vieilli, le Koshu, qui nous a poussés à leur rendre visite à Kyoto. Le saké vieilli est une vraie rareté. La règle générale veut que le saké ne puisse pas être vieilli. Une fois que le processus de brassage a été achevé, non seulement il ne se développe pas davantage, mais au lieu de cela, diminue avec le temps. Ainsi, l’idée même qu’il pouvait y avoir une exception à cette cruelle réalité méritait un pèlerinage pour apprendre le secret de Tsukino Katsura.

Une contradiction amusante se cache derrière le saké vieilli de Tsukino Katsura : même s’il est considéré comme quelque chose d’innovant, l’idée, loin d’être révolutionnaire, remonte au moins à 1683. Tokubee Masuda, le PDG de Tsukino Katsura, explique que son père est tombé sur un livre de cette période qui mentionnait le saké vieilli. Selon la légende, il aurait découvert un livre de cuisine de la même époque qui non seulement cite le saké vieilli, mais fait référence aux aliments savourés en accompagnement à cette boisson.

Faute de détails sur la façon dont ces vieux sakés étaient produits, le père de Masuda a consulté Kin’ichirō Sakaguchi, professeur de saké à l’Université de Tokyo. Le professeur suggéra d’essayer la porcelaine pour le vieillissement.

SAKÉ
Tokubee Masuda.

Tokubee Masuda.

LE SECRET DU SAKÉ VIEILLI : L’entreposage de jarres en PORCELAINE élaborées il y a 300 ans.

Le plus grand défi fut de trouver des porcelaines qui ressembleraient à celles d’il y a 300 ans. Il résulta de ses recherches qu’il dénicha un petit nombre de cruches de porcelaine au Japon et en Chine. Tsukino Katsura garde maintenant jalousement ces jarres qui ne sont plus produites de la même forme au Japon. Quel est l’apanage particulier de ces vieux fûts en porcelaine ? Leur porosité, qui permet à exactement la bonne quantité d’air extérieur d’interagir avec le saké. Il respire... ni trop, ni trop peu. Ainsi, les porcelaines scellées modernes ou les bouteilles en verre ne sont pas des alternatives. Heureusement, les récipients en porcelaine peuvent être réutilisés. Cela dit, le nombre limité dont en dispose Masuda restreint sévèrement la quantité de saké vieilli qu’il peut produire. Seulement 1200 bouteilles par an !

Le processus de Tsukino Katsura est artisanal. Ses deux bâtiments bas, en bois, utilisés comme des brasseries, appelés kura, situés à cheval sur une ruelle étroite, rappellent par leur aspect pittoresque et par leurs dimensions ceux de Bourgogne où la production annuelle de vins artisanaux « domaine » est également limitée. Le polissage du saké vieilli est de 35%. Par conséquent, il peut être qualifié de Dai-ginjo. Après que le saké destiné au vieillissement a été filtré et pasteurisé, il est placé dans de la porcelaine et stocké dans un environnement sombre et frais. Une fois encore, nous pouvons faire un parallèle avec un cellier souterrain de la région française de Bourgogne. Il repose là, généralement pendant dix ans. Cependant, il y a des exceptions : on trouve dans la cave beaucoup de jarres en porcelaine contenant du saké bien plus âgé. Chacune d’entre elles est marquée par son millésime.

Avant la mise en bouteille, le saké alors vieilli est filtré pour éliminer les sédiments et pasteurisé une fois de plus. À ce moment, il est prêt à être bu. Contrairement à tous les autres, ceux qui sont vieillis peuvent être entreposés plus longtemps, à condition qu’ils ne soient pas exposés à la lumière. En hommage à son père, l’écriture calligraphique paternelle habille l’étiquette de la bouteille.

À l’horizon se profile le super saké de Tsukino Katsura. L’entreprise prévoit de lancer une cuvée spéciale d’un saké de 50 ans d’âge, dont certaines bouteilles seront destinées au légendaire Bar Hemingway de l’hôtel Ritz, à Paris à la place Vendôme.

Des jarres en porcelaine, marquées par leur millésime, reposent dans l’entrepôt de Tsukino Katsura.

Des jarres en porcelaine, marquées par leur millésime, reposent dans l’entrepôt de Tsukino Katsura.

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Chapitre 07

ÉVOLUTION

Quand Blancpain réinterprète deux mouvements phares.

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