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Chapitres

Chapitre 4

Mettre de l’ordre dans LE CHAOS

Les siècles d’évolution de notre système calendaire.

Auteurs du chapitre

JEFFREY S. KINGSTON

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JEFFREY S. KINGSTON
Mettre de l’ordre dans  LE CHAOS
Mettre de l’ordre dans LE CHAOS
Numéro 24 Chapitre 4

Quelle est la durée d’une année solaire ? Pour une réponse précise, on peut se tourner vers la NASA (la National Aero- nautics and Space Administrationaméricaine, ou Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace, qui, entre autres accomplissements, a envoyé des hommes sur la Lune), qui l’a fixée à 365,2422 jours.1 Le calendrier grégorien, aujourd’hui utilisé partout dans le monde, atteint ce nombre à un cheveu près. De même, le cycle de mois de 30 et 31 jours auquel nous nous sommes habitués, et qui postule l’ajout d’un jour intercalaire tous les quatre ans au mois de février, s’en approche de très près. En effet, ce cycle quadriennal qui rythme nos vies se poursuivra sans qu’il y ait besoin d’ajustement jusqu’en 2100 (où ledit ajustement consistera simplement à supprimer le jour intercalaire du 29 février normalement prévu).

L’article intitulé « Les rouages d’un quantième perpétuel » présente l’ingéniosité avec laquelle les horlogers de Blancpain sont parvenus à créer un dispositif mécanique permettant de suivre les variations de longueur des mois, de 28 à 31 jours. Le récit « Un arc-en-ciel de quantièmes perpétuels » explore quant à lui la gamme de quantièmes perpétuels offerts par Blancpain. Commençons toutefois par remonter le temps pour explorer l’évolution de notre calendrier, depuis ses balbutiements sous l’Empire romain. Avant les décrets émis par l’empereur Jules César, le calendrier romain républicain de l’époque faisait régner le chaos, à tel point que l’une des fonctions essentielles d’un calendrier – prédire de manière fiable les saisons pour l’agriculture – était largement perdue. Le calendrier républicain accordait aux hommes politiques le pouvoir de rallonger l’année de quelques jours, voire parfois, de quelques mois. Ces décisions étaient trop souvent dictées par des intérêts partisans, des mois étant ajoutés ou non selon que cela serve l’avantage des alliés ou nuise aux opposants. On comprend aisément pourquoi, avec le temps, ces pratiques finirent par remettre en cause l’objectif premier d’un calendrier annuel. En 40 av. J.-C., ce calendrier romain républicain chaotique avait déjà trois mois de décalage sur le calendrier solaire.

Guidé par Sosigène, un astronome d’Alexandrie, Jules César chercha à mettre de l’ordre dans le chaos quand, en 46 av. J.-C., il institua un nouveau calendrier enfin stable et prévisible. Aujourd’hui connu sous le nom de calendrier julien, il fixait la durée d’une année à 365,25 jours. Posant les bases de notre système actuel, il instaurait une alter- nance entre des mois de 30 et 31 jours, ainsi qu’un mois de février à 28 jours. Pour résoudre le problème du quart de jour « fictif », il prévoyait d’ajouter un jour intercalaire à février tous les quatre ans.

Cette durée de 365,25 jours n’était cependant pas tout à fait exacte. Ainsi, la date de Pâques, déterminée par celle du 21 mars,2 prenait du retard à raison d’un jour tous les 130 ans. Avec pour objectif déclaré d’avancer la date de Pâques, le pape Grégoire XIII promulgua une bulle (une proclamation officielle) nommée « Inter Gravissimas », qui institua le calendrier que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « calendrier grégorien ». Il conservait les mois de 30 et 31 jours ainsi que le jour intercalaire ajouté à février tous les quatre ans. Le changement consista à supprimer les années bissextiles tombant sur une année divisible par 100, à moins qu’elle ne soit également divisible par 400, auquel cas elle restait bissextile. Ainsi, l’année 2000 était divisible par 100 mais aussi par 400. S’est donc appliquée « l’exception à l’exception », avec l’ajout d’un jour intercalaire au mois de février. En 2100, année divisible par 100 mais pas par 400, février comptera seulement 28 jours, et le jour intercalaire normalement prévu par le cycle quadriennal sera supprimé. Il faut bien se rendre compte du changement infime dans la durée d’une année que ce nouveau calendrier implique. Supprimer trois jours intercalaires tous les 400 ans écourte la durée moyenne d’une année : de 365,25 jours dans le calendrier julien, elle passe à 365,2425 jours dans le calendrier grégorien, soit un changement de 0,0075 jour ou une journée tous les 133,33333 ans ! Cela ne signifie pas pour autant que le calendrier grégorien corresponde parfaitement à une année solaire. L’année grégorienne moyenne est en réalité 0,0003 jour trop longue, soit une erreur d’un jour tous les 7 700 ans !

Le passage du calendrier julien au calendrier grégorien ne se fit pas sans accrocs. La bulle pontificale n’avait d’effet légal que dans les régions soumises à l’autorité juridique du Vatican en 1582 : l’Espagne, le Portugal, la Pologne et une partie – mais une partie seulement – de l’Italie. Elle fut progressivement adoptée dans tout l’Occident lors des deux siècles et demi qui suivirent. Cette lente transition tient à la fois à la religion et à l’obstination. L’illustration la plus frappante de ces îlots de résistance eut lieu dans un seul et même pays : la Suisse. Le passage à un système unique dura plus de 200 ans : débuté avec l’adoption du nouveau calendrier à Bâle en 1583, il ne s’acheva que bien plus tard dans le canton multiconfessionnel des Grisons3. En Angleterre, où le changement eut lieu en 1752, les citoyens prirent l’habitude de préciser le système utilisé dans les documents en y inscrivant « O.S. » (« old style », ou ancien style) pour le calendrier julien et « N.S. » (« new style », ou nouveau style) pour le calendrier grégorien.

Certains des problèmes liés à l’adoption de ce nouveau système découlaient de la nécessaire prise en compte du retard qui s’était progressivement accumulé durant les 17 siècles d’application du calendrier julien. Lorsque la bulle pontificale entra en vigueur, le jeudi 4 octobre 1582, ce décalage centenaire fut corrigé par l’annonce d’un changement de date : le « lendemain », qui aurait dû être le vendredi 5, devint le 15 octobre 1582. Ce saut temporel en fit sourire certains. Lorsque la côte est des États-Unis changea de calendrier (en même temps que l’Angleterre) le 2 septembre 1752, le même problème se posa. Le 2 septembre fut donc immédiatement suivi du 14 sep- tembre 1752, ce qui conduisit Benjamin Franklin à écrire : « Et quel plaisir aussi pour qui aime son oreiller que de s’étendre paisiblement le deux du mois pour se ré- veiller seulement au matin du quatorze. »

Au-delà de ces circonvolutions, les deux cents ans d’histoire des quantièmes perpétuels se sont centrés, à raison, sur le cycle quadriennal similaire à celui du calendrier julien. Avec ce cycle, seules trois interventions manuelles sont nécessaires tous les 400 ans, et encore, un intervalle de 100 ans sépare chaque ajustement. Il remplit donc pleinement la fonction d’une montre à quantième perpétuel. En effet, la nature même d’un dispositif mécanique, qui nécessite un entretien périodique, interférera bien plus souvent que les exceptions centenaires du cycle grégorien. Dès lors, un garde-temps qui, jour après jour, année après année, intègre les variations de longueur des mois de 30 et 31 jours et l’alternance des mois de février, est le compagnon idéal en matière de calendrier. L’article « Les rouages d’un quantième perpétuel » présente les mécanismes à l’œuvre derrière cette prouesse. 

1 Autrement dit : 365 jours, 5 heures, 48 minutes et 45,25 secondes.

2 La date de Pâques est fixée au premier dimanche suivant ou tombant le jour de la pleine lune ecclésiastique qui suit le 21 mars.

3 L’histoire du système calendaire dans les Grisons est incroyablement mouvementée. Pour commencer, la population du canton était divisée entre catholiques et protestants. Associée à l’absence de gouvernement central, cette séparation a entravé la mise en place d’un système unique. Ainsi, les paroisses catholiques ont adopté le calendrier grégorien entre 1623 et 1624, tandis que, dans les communautés protestantes, la transition s’est étendue de 1783 à 1812. Les dernières irréductibles n’ont cédé qu’en 1812, suite à un décret promulgué par le Grand Conseil qui les menaçait d’une amende, faisant d’elles les dernières communes d’Europe centrale et occidentale à adopter ce nouveau calendrier.

Chapitre 05

Le mariage réussi entre TECHNOLOGIE et tradition

Introduction de la céramique haute technologie dans le monde de l’horlogerie.

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JEFFREY S. KINGSTON
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