LA « FÉE JAUNE » de nos montagnes

La Vallée de Joux semble tout droit sortie d’un conte de Grimm. C’est un autre monde dans lequel on pénètre en franchissant l’un des cols bordés de sapins qui mènent à cette combe indissociable de l’horlogerie mécanique suisse. On dit d’ailleurs souvent de la Vallée de Joux qu’elle est le berceau de l’horlogerie de prestige. Lorsque l’on évoque le nom de cette région idyllique, on pense immédiatement au tic-tac des montres et à l’inspiration que la quiétude des lieux peut insuffler. Mais la Vallée de Joux demeure pleine de surprises. Les amateurs de saveurs authentiques suisses savent qu’il s’y cache de délicieux fromages, comme le Vacherin Mont d’Or et le Gruyère d’Alpage. Les passionnés d’activité physique au grand air, quant à eux, l’apprécient notamment pour ses multiples parcours balisés et autres pistes de randonnée. Là où les vaches paissent et les sportifs se dépensent, s’épanouit également une plante miraculeuse inconnue de beaucoup : la gentiane jaune. Les horlogers de Blancpain ont conscience de ses qualités et la valorisent en tant que véritable outil horloger.

C’est dans un cadre bucolique surplombant le village du Brassus que se situe la manufacture Blancpain dédiée à l’exécution des grandes complications et des métiers d’art, affectueusement nommée « La Ferme ». Ce terme évoque la ferme de Jehan-Jacques Blancpain à Villeret, au-dessus de laquelle le fondateur de la marque établit son atelier d’horlogerie en 1735. Sur ses traces, une dynastie d’horlogers a voué sa vie à l’art et à la mécanique du temps. Artisans spécialistes avec un goût profond pour le bel ouvrage, ceux que l’on surnommait les « paysans horlogers » trouvaient une réelle vocation dans la fabrication de montres. Aujourd’hui, la tradition se poursuit avec autant de passion et de labeur. Les horlogers de Blancpain veillent sur le patrimoine et la culture helvétiques avec la même authenticité. Comme le faisaient leurs aïeux, ils tirent parti des ressources qu’offre la nature qui les entoure pour exercer leur discipline de la plus pure des manières. Ainsi, sur leurs établis, à côté des limes, perloirs, brunissoirs, onglettes et autres burins utilisés pour la finition et la décoration des composants horlogers, il y a la gentiane jaune, ou grande gentiane.

Typique des montagnes européennes centrales et méridionales moyennes, la gentiane jaune est une plante vivace robuste dont la tige peut dépasser le mètre en été. Durant cette période de l’année, elle égaie de ses fleurs en étoile acidulées les prairies de la Vallée de Joux. Inscrite au rang des plantes médicinales miracles de la pharmacopée depuis l’Antiquité, on lui prête d’innombrables vertus curatives. La gentiane jaune, de son nom latin Gentiana lutea, aurait des propriétés digestives, antiémétiques, dépuratives, antiseptiques, sialagogues, fébrifuges ou encore stomachiques, pour ne citer que celles-ci. Également prisée par les distillateurs depuis plusieurs siècles, la plante est l’ingrédient magique d’une eau-de-vie amère fabriquée à partir de ses racines, dont l’arrachage a généralement lieu à l’automne.

C’est en automne, précisément, que les horlogers de Blancpain récoltent leur gentiane. Ils n’en font pas de décoction thérapeutique et ne produisent pas d’alcool apéritif ou digestif, aussi tentant que cela puisse paraître. S’ils s’intéressent à celle que l’on appelle aussi la « fée jaune », c’est pour sa tige souple, résistante et dense, dont la moelle possède un grain d’une finesse idéale pour le polissage des composants horlogers. Les racines n’étant pas extraites durant leur cueillette, les plants de gentiane dont est prélevé le bois demeurent intacts. Ainsi, les horlogers de Blancpain agissent dans le strict respect de la ressource et du milieu naturel.

L’excursion à travers les pâturages d’altitude à la recherche de la fée jaune commence près de « La Ferme » du Brassus. Après avoir repéré les meilleures candidates à la fonction, les horlogers, munis d’une petite scie à main, coupent les plantes sélectionnées à la base de leur tige, dont ils cassent le haut afin de retirer le bouquet terminal. Les feuilles sont enlevées à leur tour et les rameaux assemblés en fagots, puis ficelés. Ces derniers sont stockés durant plusieurs jours à l’abri de l’humidité. Une fois la grande gentiane conditionnée, les horlogers de Blancpain procèdent à la découpe des tiges qui rejoindront leurs établis. À l’aide de leur scie à main et d’une boîte à onglet, ils tranchent des segments de 23 cm qu’ils fendent en trois dans le sens de la longueur.