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Chapitre 3

LA TERRE FRANÇOIS-JOSEPH

Une expédition Pristine Seas de la National Geographic Society, organisée avec le soutien de Blancpain, explore les trésors cachés de l’Arctique russe.

Auteurs du chapitre

DR. ENRIC SALA

Auteurs du chapitre

DR. ENRIC SALA
LA TERRE FRANÇOIS-JOSEPH
LA TERRE FRANÇOIS-JOSEPH
Numéro 15 Chapitre 3
Les anémones qui prospèrent dans les eaux glacées de la Terre François-Joseph composent une prairie florale arctique. 

Les anémones qui prospèrent dans les eaux glacées de la Terre François-Joseph composent une prairie florale arctique. 

CINQ ANNÉES APRÈS L’AVOIR RÊVÉ et à l’issue de deux ans de préparation, je plongeais enfin dans l’archipel François-Joseph. 

Mes doigts commençaient à geler et la douleur était si intense que je ne parvenais pas à sentir s’ils agrippaient encore la caméra. Mes lèvres étaient tellement glacées que j’étais à peine en mesure de tenir l’embout du régulateur dans ma bouche. L’eau était verte et trouble au point que je ne distinguais plus mes palmes. Je continuais à descendre jusqu’au moment où l’eau sombre a disparu comme si je volais et que je sortais d’un nuage pour contempler de nouveau le ciel dégagé. Un univers secret se dévoilait devant mes yeux  : une forêt d’algues brunes prospérait sur une déclivité sous-marine composée de roches volcaniques. Au-dessus des algues s’étendait un tapis d’anémones pâles qui ressemblait à une prairie en fleurs. Je me suis approché de la roche. Une araignée de mer orange de la taille de ma main se déplaçait lentement dans ce paysage subaquatique à la recherche d’une proie. Après avoir passé cinq années à rêver de cette exploration et 24 mois à la préparer, j’eff ectuais enfin une plongée dans l’archipel François-Joseph, situé tout en haut du globe terrestre. Cette aventure allait devenir la plus difficile et la plus complexe de nos expéditions Pristine Seas.

La Terre François-Joseph est l’archipel le plus septentrional de Russie et la terre émergée la plus proche du pôle Nord, à l’exception de la pointe nord du Groenland. En hiver, la glace et la neige enveloppent les 192 îles de l’archipel François-Joseph. La banquise recouvre la mer, comme si elle enfermait les terres dans un piège blanc. Le soleil disparaît pendant six mois, plongeant cet univers solitaire, l’un des plus inhospitaliers du monde, dans une nuit perpétuelle. En été, lorsque la glace fond et que le soleil s’élève au-dessus de l’horizon 24 heures par jour, le froid et l’obscurité se transforment en un miracle floral alors que la banquise cède la place à une oasis de verdure. 

LA TERRE FRANÇOIS-JOSEPH

Je voyais TELLEMENT D’OISEAUX DANS LE CIEL qu’ils ressemblaient à une immense nuée de moustiques un soir d’été.

En raison de son éloignement et de sa position stratégique durant la guerre froide, la Terre François-Joseph demeurait interdite aux visiteurs il y a quelques années encore. Depuis le début du XXe  siècle, ses seuls habitants humains se limitaient à quelques dizaines de militaires et de scientifiques, citoyens de l’Union soviétique, puis de la Fédération de Russie, qui conduisaient des études météorologiques et océaniques dans l’Arctique. Quant aux résidents non humains, ils sont représentés par des ours polaires, des morses, des baleines boréales, des phoques et des centaines de milliers d’oiseaux marins.

Nous nous sommes rendus sur la Terre François-Joseph en juillet-août 2013, dans le cadre d’une expédition Pristine Seas, organisée avec le soutien de Blancpain et en collaboration avec le Parc national de l’Arctique russe et la Société géographique de Russie. Le but de notre voyage consistait à observer la vie sauvage dans la région afin d’évaluer les changements à long terme provoqués par le réchauffement de l’Arctique.

Stationnée pendant cinq semaines sur la Terre François-Joseph, notre équipe internationale d’une quarantaine de scientifiques, cinéastes et personnes d’assistance, a exploré 22  îles et réalisé plus de 250 plongées. Nous avons recueilli des données en abondance sur les algues, les invertébrés, les poissons, les morses, les ours polaires et les oiseaux de mer.

Plus de cinquante espèces d’oiseaux marins vivent sur l’archipel François-Joseph pendant l’été arctique et certaines forment d’énormes colonies de nidification, à l’exemple de l’imposant Rubini Rock. Il s’agit d’une immense falaise de basalte cristallisé en prismes hexagonaux qui lui donnent l’apparence d’un orgue gigantesque. À une distance d’un mille, je pouvais entendre les cris stridents des oiseaux. En progressant vers l’îlot, je me suis rendu compte que leur densité était telle qu’ils ressemblaient à une immense nuée de moustiques un soir d’été. Avec notre embarcation, nous nous sommes approchés le plus possible de la paroi rocheuse qui nous a alors révélé sa fascinante richesse. Les mouettes tridactyles et les pingouins nichaient sur la falaise presque verticale et tiraient avantage de chaque recoin, de chaque anfractuosité, du plus minuscule orifi ce pour déposer leurs œufs et élever leurs petits. Le moindre espace horizontal était occupé et nombre de ces emplacements ne dépassaient pas la dimension d’une assiette à dessert. La fonte de la banquise pendant l’été et la lumière solaire permanente favorisaient le développement des organismes microscopiques dans la mer, qui forment la base alimentaire indispensable à cette fantastique population d’oiseaux marins. 

Les mouettes tridactyles nichent par dizaines de milliers dans les parois rocheuses de la Terre François-Joseph.

Les mouettes tridactyles nichent par dizaines de milliers dans les parois rocheuses de la Terre François-Joseph.

Les pingouins se nourrissent des petits crustacés qui prolifèrent l’été dans les eaux arctiques. 

Les pingouins se nourrissent des petits crustacés qui prolifèrent l’été dans les eaux arctiques. 

LA TERRE FRANÇOIS-JOSEPH

Cependant, la température des eaux arctiques s’élève et cette situation facilite la migration vers le nord du plancton de l’océan Atlantique. Des organismes semblables à de minuscules crevettes, les copépodes, constituent les principales proies des petits pingouins. Une espèce de copépodes atlantiques, plus menue et moins nutritive que son équivalent arctique, est observée aujourd’hui en nombre croissant dans les eaux qui entourent l’archipel. Si les copépodes de l’Atlantique remplacent leurs congénères de l’Arctique, l’alimentation des pingouins, et ainsi leur capacité à élever leurs petits, pourrait être remise en cause. Ce n’est là qu’un exemple parmi les nombreux changements qui se produisent dans l’archipel François-Joseph. Nous n’en connaissons pas les conséquences, mais nous savons que l’Arctique de l’avenir sera diff érent de celui contemplé par les membres de l’expédition austrohongroise Tegetthoff qui découvrirent l’archipel au XIXe  siècle et lui donnèrent le nom de leur empereur.

Jusqu’au début des années 1990, la mer était gelée, même en été, à travers tout l’archipel François-Joseph. Toutefois, au cours de notre séjour pendant l’été 2013, les eaux étaient libres de glace. Nous nous trouvions à Cape Fligely, sur l’île Rodolphe, le point le plus septentrional de la Terre François-Joseph et nous contemplions des eaux bleutées qui s’étendaient à l’infini. À côté de notre bateau, nous avons vu un ours polaire, debout sur un rocher noir, près du bord d’un glacier. Nous avons descendu l’un de nos canots et nous sommes approchés de l’animal. Derrière lui, le glacier fondait et projetait une cascade d’eau. L’ours donnait l’impression d’être désorienté par les changements survenus dans son monde et de rechercher la banquise qui aurait dû recouvrir la mer. Avec la glace, les phoques ont disparu et les ours polaires dépendent d’une diète composée essentiellement d’oiseaux de mer, de leurs œufs et d’herbe.

LA TERRE FRANÇOIS-JOSEPH
LA TERRE FRANÇOIS-JOSEPH

En élevant un tiers de son corps au-dessus de l’eau, IL APPARAISSAIT COMME UNE MONTAGNE. 

Malgré l’absence de banquise, la Terre François-Joseph constitue toujours un refuge extraordinaire pour la vie sauvage de l’Arctique, y compris un autre de ses représentants à la taille respectable, le morse de l’Atlantique. Après les éléphants de mer, les morses sont la plus grande espèce de pinnipèdes et certains mâles peuvent peser jusqu’à une tonne et demie.

J’aime évoluer parmi les requins et autres animaux marins. J’apprécie particulièrement les plongées avec les baleines, car ce sont les plus grands habitants des océans. Je me sens vibrer au pouls de la vie lorsque je m’approche d’elles – c’est une aventure sans danger et singulièrement passionnante. Pourtant, il y a sur la Terre François-Joseph un animal avec lequel je n’étais pas sûr de ressentir assez d’affinités pour plonger à ses côtés. Les morses sont d’immenses masses de graisse protégées par deux longues défenses en ivoire. J’imagine que les premiers humains qui ont rencontré ces mammifères les ont sans doute pris pour des monstres marins. Nous étions venus sur la Terre François-Joseph avec l’intention de plonger en leur compagnie.

Près de l’ancienne station de recherche soviétique de Tikhaya, nous avons enfilé nos combinaisons sèches, sorti nos bouteilles et nos caméras, avant de descendre l’échelle instable qui reliait le bateau à notre zodiac. Nous avons ensuite mis le cap sur l’ouest pendant un quart d’heure, en direction d’une petite île où une colonie de morses nous avait été signalée. En effet, ils étaient là et nous avons pu sentir les traces olfactives de leur présence longtemps avant de les voir.

Environ 300 individus étaient paresseusement allongés sur une plage, des mâles, des femelles et des petits âgés de 2 mois. Nous nous sommes approchés du rivage aussi calmement que possible. Quelques animaux, qui étaient dans l’eau, sont venus nous inspecter. Les morses possèdent des moustaches qui, même si elles ressemblent à un simple fi l de pêche, sont extrêmement sensibles. Nous avons immergé nos caméras au bout d’une perche en déployant de multiples précautions pour tester leur comportement. Un groupe de quatre morses s’est précipité et a fait le tour de notre bateau. Dès que nous les avons contemplés de près, nous avons été surpris par leur taille. Une grande femelle a nagé vers nous et touché la perche de la caméra avec ses moustaches avant de repartir immédiatement, en apparence étonnée et eff rayée par le contact du verre. Les autres morses ont plongé et disparu. Nous avons attendu qu’ils refassent surface. Une certaine inquiétude nous a envahis au moment où deux d’entre eux ont passé sous notre zodiac. Soudainement, un mâle est apparu si proche de nous qu’il m’a aspergé par son souffle. Il a plongé une nouvelle fois et s’est éloigné. À cet instant, nous avons résolu de reporter à un jour meilleur notre première plongée avec les morses. 

Les morses sont des animaux très curieux et ils s’approchent de tout élément inconnu pour se livrer à une minutieuse inspection sous-marine. 

Les morses sont des animaux très curieux et ils s’approchent de tout élément inconnu pour se livrer à une minutieuse inspection sous-marine. 

L’archipel François-Joseph est un TERRAIN D’EXPÉRIMENTATION VIVANT pour observer comment la vie sauvage arctique s’adaptera au réchauffement climatique. 

La Terre François-Joseph est un zakaznik, une réserve naturelle gérée par le Parc national de l’Arctique russe. À la suite de notre expédition, le Parc a soumis une proposition au Ministère russe des Ressources naturelles et de l’Environnement pour conférer à la Terre François-Joseph et aux eaux qui l’entourent le statut de parc national. À un moment où la disparition de la banquise pendant l’été s’accompagne d’une intensification de la pêche, des sondages pétroliers et du développement dans l’Arctique, la Russie dispose d’une opportunité unique pour protéger entièrement l’un des derniers sanctuaires de la planète qui ressemblent encore au monde tel qu’il se présentait lors du dernier âge glaciaire. La Terre François-Joseph est un terrain d’expérimentation exceptionnel pour observer la manière dont la vie sauvage arctique s’adaptera au réchauff ement climatique. En assurant que ce précieux refuge demeure préservé de tout impact direct exercé par l’être humain, la Russie démontrerait son rôle d’avant-garde dans la conservation de l’Arctique et enverrait un signal fort aux autres nations afin qu’elles suivent son exemple.

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Les Pristine Expeditions de la National Geographic Society représentent l’un des piliers du Blancpain Ocean Commitment. La marque du Brassus est le premier organisme à avoir soutenu ces expéditions en devenant « Mission Partner » dès 2011. Depuis lors, Blancpain a sponsorisé huit expéditions Pristine Seas, parmi lesquelles celle à destination de la Terre François-Joseph relatée par le Dr Enric Sala dans l’article ci-dessus. Ce rôle de partenaire est appelé à se développer et Blancpain a réitéré son engagement pour les prochaines années. Au-delà de cet appui financier, Marc A. Hayek, CEO de Blancpain, siège au comité de la campagne Pristine Seas, dont les eff orts dans le domaine de la sauvegarde et de la préservation se sont déjà concrétisés par des résultats tangibles particulièrement encourageants. En effet, cette initiative a d’ores et déjà emporté l’adhésion de nombreux gouvernements et permet désormais de protéger plus de 1,6 million de kilomètres carrés d’océans à travers le monde ! Blancpain est fière de contribuer à cette noble cause.

En été, les baleines migrent dans les eaux situées au nord de la Terre François-Joseph après la fonte des glaces.

En été, les baleines migrent dans les eaux situées au nord de la Terre François-Joseph après la fonte des glaces.

L’île Hayes possède quelques vestiges d’une occupation plus importante pendant l’ère soviétique. Le Gouvernement russe procède actuellement à l’enlèvement de ces carcasses sur cette île et quelques autres. 

L’île Hayes possède quelques vestiges d’une occupation plus importante pendant l’ère soviétique. Le Gouvernement russe procède actuellement à l’enlèvement de ces carcasses sur cette île et quelques autres. 

Chapitre 04

Villeret Tourbillon 12 JOURS

Sous une apparence familière, Blancpain présente un tourbillon entièrement inédit.

Auteurs du chapitre

JEFFREY S. KINGSTON
Villeret Tourbillon 12 JOURS
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